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Barbudo Conexión (c)
11 septembre 2006

Journalistes, mangouste et révolution...


C'est marrant.
En primaire, je voulais être archéologue. Ensuite, j'ai voulu faire "comme mon père" (sans bien sûr trop savoir ce qu'il faisait) et puis, finalement, au lycée, je m'étais décidé pour le journalisme.

Mais bon.
Déjà, c'était baisé, puisque ma conseillère d'orientation a toujours voulu me faire faire de la logistique (j'ai jamais compris pourquoi d'ailleurs). A chaque entretien que je passais avec elle et même si je lui disais que la logistique, rien que le nom me faisait chier, elle n'en démordait pas et me vendait ce boulot que je savais ne pas être fait pour moi. Elle récitait alors une litanie d'arguments tout droit issus de Conseillère d'Orientation Magazine, le numéro spécial "Logistique, des métiers d'avenir".
Quand je lui parlais du journalisme, elle rigolait, en m'expliquant que non, désolée, ce sera pas possible vu que tu n'as eu que 12 de moyenne en français ce trimestre. En même temps quelle idée de caser des jeux de mots minables dans ta rédaction sur le 12ème chapitre des confessions de Rousseau, quand il raconte qu'il a mangé une pomme ? Et puis de toute façon, tout le monde [savait] bien que journaliste c'est un métier de con.
Bon.
A la limite, je m'en foutais. J'ai jamais pu sacquer les conseillères d'orientation. C'est un peu comme les haricots verts. Ca fout le cafard et c'est inutile (un de ces quatre, rappelez moi de vous parler de ma haine farouche envers les haricots verts).
Donc j'écoutais pas.
Mais un jour j'ai pris conscience du fait que si je me destinais bel et bien à devenir journaliste, j'allais devoir écrire REGULIEREMENT, en laissant tomber mon style contestable pour un phrasé académique et que je serai obligé de faire des phrases de moins de 60 mots.
Or vous aurez pu constater par vous-même en fréquentant ce blog que quand j'écris, c'est pas exactement ça.

J'ai donc laissé tomber mon super plan de carrière pour me laisser porter par mes études.
Et si j'ai, pendant un temps, regretté de n'être pas devenu journaliste, je me console en me disant que finalement, ça m'aurait fait chier d'exercer un boulot où les cons sont légion (attention : ça vanne sec).
Vous l'aurez deviné, ils m'ont encore bien énervé en couvrant un (à peu près) récent fait d'actualité.

Et j'ai donc le plaisir de vous présenter le sujet du jour : le traitement médiatique de l'hospitalisation de Castro.
Il y a quelques semaines, à la veille de ses 80 ans, le dictateur annonçait au monde qu'il venait de subir une intervention chirurgicale assez lourde suite à une crise intestinale aigüe et qu'il transférait donc le pouvoir à son frère cadet, Raùl, en attendant d'être remis sur pieds. C'était une grande première.
Et, sitôt l'annonce faite, les journaux de tous les pays s'unirent pour annoncer la mort imminente du Lider Maximo.
Déjà là, j'avais du mal à y croire.
Parce que bon. Alors bon.
C'est sûr qu'il n'est plus très jeune et que l'opération n'était pas bénigne. Mais de là à nous foutre sa bio en boucle et à remplir des pages entières pour répondre à l'hypothétique question de sa succession, comme s'il était déjà enterré, y'avait de la marge.
Car il faut quand-même garder à l'esprit que le système de santé Cubain est de loin supérieur à celui de son voisin nord-américain.
Et puis le gaillard est solide !
Quand, il y a quelques années, il s'était fracturé la rotule et le coude gauches, il avait continué à exercer ses fonctions pendant sa convalescence.

Ce qui m'a d'autant plus attristé, c'est d'entendre qu'avec l'arrivée de son frère au pouvoir, la dictature vivait ses derniers jours (elle aussi décidemment...). Si c'est pas triste d'entendre des choses pareilles à notre époque, ma bonne dame !
Je suis loin d'être calé sur la question, mais Raùl Castro n'a rien d'un ange.
Dans un sens, Fidel, lui, fait des efforts.
Que ce soit avec des colombes, des portraits du Che ou des discours fleuves de 5h, on doit bien avouer qu'il y met du sien ! Un véritable dictateur comme on n'en fait plus guère aujourd'hui.
De ceux qui se donnent la peine de cacher (ou tout du moins de justifier) leurs exactions en usant de leur arme principale avec un plaisir non-feint : le charisme.

Raùl, lui, c'est l'exact opposé.
Marionnette de Fidel, homme de l'ombre, terne et discret (contrairement à son frêre aîné), formé par les soviétiques à la grande époque, il a trempé dans un paquet d'affaires troubles (pour ne pas dire toutes) ces 50 dernières années à Cuba et ailleurs.
Il n'a ni le goût ni l'habitude du pouvoir, préférant largement opérer (ou plutôt supprimer) froidement à la manipulation de masse, qui nécessite des talents de tribun qu'il n'a pas.
En fait, il est d'autant plus dangereux qu'il agit dans l'ombre.

D'ailleurs, en apprenant qu'il devenait président intérimaire, l'opposition ne s'y est pas trompée. Alors que les anti-castristes de Floride débouchaient le champagne, les cubains, eux, se terraient encore un peu plus, pressentant avec raison que le vent n'allait pas tourner, mais qu'il allait forcir.
Parce que le petit frère a sorti l'artillerie lourde en matière de répression, partant du principe que 1/. Quand le chat n'est pas là suite à une crise intestinale aigüe les cubains dansent au rythme de Buena Vista Social Club et que 2/. Si les cubains commencent à prendre goût à la liberté, Fidel verra son emprise sur eux voler en éclats.
D'autant que la date de ses 80 ans correspond à peu de choses près à celle du sommet du Mouvement des Non-Alignés qui se tient cette année à La Havane...
Pour vous dire à quel point il fait bon vivre en ce moment sur l'île : les parents sont obligés d'interdire à leurs enfants de sortir de chez eux car la police cubaine arrête la plupart des jeunes qui ont le malheur de marcher dans la rue. Au cas où, hein...

Bref : ils m'ont bien soulé ces journalistes.
Enterrer Castro alors qu'il est loin d'être mort et annoncer la fin de la dictature alors que c'est justement l'inverse qui se produit, faut le faire !

Quant à Bush... Sans vouloir verser dans l'anti-américanisme primaire, il m'a carrément gonflé.
L'ennemi juré donne des signes de faiblesse ? Hop hop hop ! Je ressors ma litanie sur la Liberté, je promets de lever l'embargo si on fait des efforts et j'incite les cubains à se révolter...
Sauf que :

1/. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement castriste devrait faire des efforts pour mériter la levée au moins partielle de l'embargo, dans la mesure où il est absolument injustifié aujourd'hui (si tant est qu'un embargo puisse trouver un jour une légitimité). Il y a bien longtemps que Cuba ne représente plus aucun danger pour son voisin. A part lui envoyer des morceaux de canne à sucre taillés en pointe, la crise des missiles est bien lointaine, aujourd'hui... Et puis, comme tout bon blocus qui se respecte, c'est avant tout et surtout la population qui en pâtit. L'élite, elle, n'a pas de problème pour manger, se déplacer en voiture, etc.
Surtout que ça me semble être une erreur d'un point de vue stratégique, puisque ce blocus permet justement à Castro de diaboliser les Etats-Unis.
Il y a longtemps qu'il aurait dû être levé.

2/. Il me paraît pour le moins stupide d'inciter les cubains à rejoindre l'opposition dans la mesure où, comme je le disais plus haut, la répression s'est fortement aggravée depuis l'annonce de l'opération de Castro. D'autant qu'à mon avis il ne faudra pas s'attendre à un mouvement de masse ; une révolution contre la révolution (et non-pas "dans", big-up à Régis Debray).
Depuis maintenant presque 50 ans, Castro s'est appliqué à faire de la révolution de 59 son fond de commerce. Il n'oublie cependant pas d'y inclure l'ensemble des cubains. Et même ceux qui sont nés 20 ans après doivent avoir le sentiment d'avoir combattu aux côtés du Che et de Camillo Cienfuegos ; d'être les descendants directs de José Marti.
Avec ces récits à la dimension biblique des combats livrés alors contre l'envahisseur yankee, ce blocus imbécile qui met quotidiennement à l'épreuve le courage d'un pays entier, avec tout ça et le reste, un puissant sentiment de fierté et de dignité s'est développé à Cuba.
Et c'est grâce à ça (enfin à mon sens, hein) qu'ils supportent aujourd'hui la dictature de Castro.
Evidemment, ils rêvent de liberté. Mais ça n'est pas une hospitalisation qui les fera se révolter en masse contre le pouvoir en place. Il faudra quelque chose de plus radical et de plus fort, comme la mort de Fidel (la vraie de vraie cette fois) pour faire changer les choses. Sinon ça serait reconnaître qu'ils se sont battus pour rien pendant un demi-siècle.

Et le plus triste de tout, c'est que le jour où il va canner (je ne fais même pas de blague avec "canne à sucre", c'est vous dire combien je vous estime) ça va vraiment me faire chier parce que ce sera le début d'un méchant bordel.
Je sais bien que la dictature est, en règle générale, plus facile à vivre quand on habite à 10.000km de là.
Mais j'ai bien peur que les cubains soient de toute façon perdants, quelle que soit la solution qui répondra à la question de sa succession : durcissement de la dictature en place, renversement et purge par les anti-castristes, ingérence américaine...

Que du bonheur quoi !
Il ne manquerait plus que ma conseillère d'orientation décide d'y passer ses vacances...

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Commentaires
B
Pour Tchim : <br /> Euh... Merci beaucoup...<br /> Pour le livre de Mouterde, je vais commencer à le lire, dans ce cas-là. Comme ça nous aurons effectivement l'occasion d'en discuter (plus longuement de LQR... Toutes mes excuses à ce propos, d'ailleurs !). J'espère qu'il sera bien...<br /> Concernant les haricots verts, là, je veux bien en parler, mais ça va encore partir en live ! Enfin promis, je traiterai un jour de mon aversion pour eux et, tant qu'à faire, je développerai aussi mon histoire de pelle et de bêche, dont j'avais vaguement parlé une fois. J'essaye déjà de boucler un texte que je traine depuis deux semaines et puis je verrai ça après.<br /> <br /> Pour Yann :<br /> Attention ! Certaines conseillères peuvent, de prime abord sembler normales, mais il n'en est rien ! Méfie toi d'elles et ne leur tourne jamais le dos. Et si elle commence à te parler de logistique, barre toi en courant !<br /> Pour le reste, on en reparle, effectivement, autour d'un verre. Je te recontacte pour qu'on arrête une date...
M
1) Zut alors, justement j'ai accompagné un petit cousin rencontrer une conseillère d'orientation hier après-midi. La dame était tout à fait charmante. Remarque c'est peut-être ce qui est dangereux! En tout cas je la regarderai différemment la prochaine fois.<br /> <br /> 2) Le fameux style d'écriture journalistique, qui est de plus en plus indigeste tel que l'explique Eric Hazan ds "LQR", en est aujourd'hui, comble du comble, à privilégier les phrases sans verbe. Question de marketing.<br /> <br /> 3) Au sujet de Castro, je suis peu calé. Je te lis donc avec d'autant plus d'intérêt.<br /> D'emblée je te rejoins quand tu parles de la désinformation médiatique.<br /> <br /> Sinon j'espère que tu t'éclates au boulot!! Tu me raconteras un de ces 4!
T
J'aime vraiment. C'est brillant et plein d'informations. <br /> A ce propos, j'ai commence il y a bien longtemps le bouquin "Quand l'utopie ne desarme pas" de Pierre Mouterde. Quand je l'aurai termine, je te ferai signe pour qu'on en parle un peu.<br /> Sur ce, porte toi bien, et surtout n'oublie pas de nous raconter ton experience avec les haricots verts.
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